Infographie #33 – Les 10 cost-cutting à craindre du fait du Covid-19
Paris, le 10 avril 2020 – Depuis l’explosion du trafic aérien à partir des années 80, jamais l’aéronautique n’a connu une crise d’une ampleur telle que celle liée à la propagation du Covid-19. Les gouvernements, les uns après les autres, prennent des mesures de confinement de la population d’un côté et de fermeture des frontières de l’autre. Les aéroports et les avions se retrouvent ainsi désertés et les quelques passagers qui restent se partagent entre ceux devant impérativement se déplacer et ceux tentant de rentrer chez eux.
La pire crise du secteur aérien depuis sa création
Si la durée de la crise n’est pas encore connue, tous s’accordent à dire qu’elle sera longue et qu’une reprise de l’activité « en V » est maintenant totalement hypothétique. Les compagnies ont déjà commencé à faire des plans à moyen et long terme afin de réduire dès maintenant leurs capacités et leurs routes.
Nous allons observer dans les prochains mois un paysage aérien totalement transformé :
De nombreuses compagnies aériennes feront faillite, essentiellement des compagnies de petite et moyenne taille ne pouvant pas espérer le soutien financier d’un état et n’ayant pas une assise financière suffisante. A la clé, de nombreuses et douloureuses suppressions d’emplois directs et indirects. Les compagnies nationales demandent déjà toutes de l’aide que cela soit par recapitalisation (pouvant entraîner une nationalisation) ou par prêt. Air France KLM étant par exemple en négociation avec l’état Français afin d’obtenir un prêt de 6 milliards d’euros. Les nations ayant fait de l’aérien un axe stratégique de développement et de rayonnement comme les Emirats Arabes Unis ou Singapour vont même plus loin : Singapore Airlines ayant obtenu des engagements de financement à hauteur de 12 milliards d’euros de la part de son état.
Cette attrition du secteur s’accompagnera par une réduction importante du nombre de vols. Les fréquences seront réduites et certaines routes seront supprimées. Nous pouvons aussi nous attendre au report ou à l’annulation de toute nouvelle route notamment parce qu’une ouverture de ligne long-courrier met en moyenne 3 ans avant d’être rentable.
Enfin, chaque crise emmenant son lot de restrictions, nous pouvons craindre dans les prochains mois l’introduction de nouvelles mesures sanitaires comme la prise de température, le port du masque ou le fait de devoir voyager avec un certificat médical afin de justifier de son bon état de santé. Certains états pourraient aussi en profiter pour revoir leurs procédures d’immigration et interdire ou restreindre certaines nationalités qu’elles jugeront à risque. Résultat, des attentes supplémentaires à prévoir en aéroport et l’apparition d’une probable nouvelle taxe.

Coronavirus : des mesures de réduction des coûts inévitables
Face à la baisse de la demande, les compagnies vont rechercher par tous les moyens à faire des réductions de coût dit cost-cutting. Flight-Report s’intéresse ce mois-ci aux différentes mesures qui impacteront directement l’expérience passager.
Du fait d’une offre supérieure à la demande pour les prochaines semaines et mois, les compagnies aériennes vont devoir être particulièrement compétitives au niveau des prix. L’une des options est de dégrouper son produit ou « unbundled », cela consiste à séparer les différents éléments : bagage, choix du siège, repas… Si cette pratique était auparavant observée uniquement en classe économique, de nombreuses compagnies l’introduisent aussi jusqu’en classe Affaires. Ainsi, British Airways fait payer le choix du siège (si vous n’avez pas de statut), Finnair introduit un tarif Business sans bagage en soute et Emirates, un tarif Business (pour certains marchés) sans chauffeur ni accès salon.
Les salons d’aéroports sont particulièrement appréciés des voyageurs fréquents, ils permettent d’attendre dans un calme relatif et loin de l’effervescence de la salle d’embarquement. Certaines compagnies européennes pourraient être tentées de s’inspirer des règles d’admissibilités en vigueur aux Etats-Unis en rendant payant l’accès aux salons pour les clients des vols domestiques et européens (L’accès pourrait demeurer gratuit pour les clients abonnés et des billets flex). Cette mesure permettrait de faire rentrer de l’argent en vendant d’avantage d’accès salons que cela soit à l’unité ou via des abonnements.

A bord, l’une des pistes d’économies est la suppression du siège neutralisé en Europe, voir même la suppression de la classe Affaires moyen-courrier. Par manque de différenciation et de valeur ajoutée, peu de clients (individuel ou organisation) sont prêts à payer pour ce produit. Les compagnies pourraient continuer à proposer un service amélioré pour les clients en correspondances.
Plus radicale est la suppression à moyen et long terme de la Première Classe pour deux raisons. Son manque de rentabilité du fait de sa grande empreinte au sol et de l’utilisation d’appareils plus petits comme le Boeing 787 et l’Airbus A350. Tristement, l’époque de l’A380 est révolue, avec son retrait progressif des flottes mondiales, des compagnies comme Qatar Airways ne proposeront bientôt plus de First Class alors qu’Air France verra son offre de sièges fortement diminuée.

Si le service à bord est actuellement fortement réduit afin d’éviter les points de contacts avec la clientèle, les compagnies peuvent envisager de dégrader durablement leur service à bord dans le but de faire des économies. En Europe, Air France, Lufthansa et KLM proposent encore un service gratuit sur leurs vols moyen-courriers comprenant une boisson et un snack ou sandwich. Ces compagnies pourraient décider de s’aligner sur leurs concurrents British Airways, SAS, Iberia ou Finnair en ne proposant que de l’eau, du thé ou du café voire un service entièrement payant. Au-delà de l’économie générée, c’est une source de rentrée d’argent avec les ventes à bord.
Sur le long-courrier, et du fait de la pression sur les prix, les compagnies pourraient supprimer les alcools servis gratuitement. Ceci a été observé chez les compagnies américaines après le 11 septembre 2001.

Cette crise aura aussi des répercussions sur les politiques de renouvellement de flotte, les compagnies étant dès à présent en négociation avec les constructeurs afin de différer voire d’annuler tout ou partie de leurs commandes à venir. De la même manière, les projets de retrofit des cabines vont être fort probablement retardés du fait du lourd investissement. Pour le client, cela signifie de voyager avec des avions moins récents et non modernisés pendant plus longtemps.
Si la sécurité des vols est la priorité de toutes les compagnies aériennes, des coupes budgétaires sont cependant envisageables dans la maintenance « cosmétique » des sièges et des éléments de la cabine. Concrètement, cela se traduirait par des sièges et des cabines plus fatigués, avec des pièces non remplacées, les rustines et rubans adhésifs seraient de sortie comme nous le voyons déjà trop souvent sur certaines compagnies aériennes.

Enfin, les divertissements ne seront pas oubliés. Si nous n’envisageons pas que les compagnies éteignent complètement leurs IFE, il est probable que des arbitrages soit fait dans la sélection des programmes et notamment des films, du fait du coût important des licences. Les clients observeront ainsi un plus faible renouvellement des films les plus récents.
Au niveau de la connectivité, la possibilité de se connecter à internet par WiFi est devenu incontournable, cependant, ce service coûte cher et les compagnies aériennes peinent à le rentabiliser du fait du montant prohibitif du transfert des données par satellite. Par mesure d’économie, il est probable que certaines compagnies suppriment leur WiFi ou tout du moins, enlèvent leurs offres gratuites afin d’espérer d’avantage de ventes additionnelles.

Les 3 bonnes nouvelles
Malgré ces nombreuses perspectives peu réjouissantes, des éclaircies existent pour les clients qui vont pouvoir aussi tirer bénéfice de cette situation.
Oslo – New York à partir de 190€, Paris – Singapour à partir de 350€ ou bien Amsterdam – Johannesburg à partir de 324€, ces tarifs incroyables sont toutes taxes comprises et pour des trajets aller-retour. C’est du jamais vu car les compagnies, du fait de la chute de la demande, sont prêtes à tout pour récupérer du cash et pour essayer de remplir leurs avions en particulier pour le troisième et quatrième trimestre de cette année.
Les passagers encartés et disposant d’un statut profitent également d’un assouplissement des seuils de qualification comme chez British Airways ou Air France. Des compagnies sont plus généreuses et offrent même des extensions de statut, allant de 6 mois comme chez Turkish Airlines à 12 mois comme chez Delta Air Lines ou Qatar Airways. Enfin, des offres de statut match fleuriront probablement dans les mois à venir.
Par ailleurs, conséquence de la mise en retraite précipitée des avions plus anciens, comme les Boeing 767 d’American Airlines ou les Boeing 747 chez KLM, les compagnies harmonisent et améliorent leur offre générale en ne gardant que les modèles les plus récents. Chez Air France la sortie probable et accélérée des Airbus A380 va permettre de réduire le nombre de vols opérés avec un produit non compétitif, en particulier en Business et en La Première.

Conclusion
Cette crise sans précèdent force le secteur aérien à se réinventer, les prochains mois s’annoncent difficiles, des faillites de compagnies aériennes sont inévitables et de nombreux salariés vont perdre leur emploi.
Des réductions de coût sont inévitables, certaines compagnies n’hésiteront pas à prendre des mesures radicales afin de préserver leur trésorerie. Cela se traduira pour le client par de nombreuses dégradations du produit et de l’expérience passager dans son ensemble. Il sera d’ailleurs intéressant d’observer les arbitrages qui seront fait entre les compagnies. Cependant, la baisse du prix des billets d’avions et la prolongation des statuts sont des bonnes nouvelles.
Deux grandes incertitudes demeurent : le calendrier de reprise par pays et l’état de la demande lors du retour à la normale. Les experts prévoient que la reprise sera rapide pour les vols intérieurs et moyen-courrier mais qu’elle prendra plusieurs mois pour les vols long-courriers.
Cette crise aura au moins permis de voir les limites des relations à distance, du télétravail ou de la visio-conférence. Le contact humain, qu’il soit pour motif professionnel ou personnel, est et restera irremplaçable et seul l’aérien peut le permettre.
Méthodologie
Cette étude et les probabilités indiquées se basent sur l’historique des précédentes crises (11 Septembre 2001, SRAS, crise économique de 2008), sur les tendances observées sur les différents marchés et sur les postes de dépenses principaux et compressibles. D’autres mesures d’économies existent mais une sélection a dû être faite pour des contraintes de lisibilité.
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