Paris le 30 Août 2020 – Alors que la crise engendrée par la COVID19 occupe depuis plusieurs mois l’essentiel de l’actualité aéronautique, les questions environnementales ont continué à être soulevées, notamment dans le cadre du prêt accordé par l’Etat à Air France. En effet, une des conditions imposées à Air France est la suppression des vols domestiques pour lesquels le temps de trajet en train est inférieur à 2h30. Les correspondances devront dorénavant se réaliser entre le TGV et l’avion, une solution déjà mise en place au départ de destinations comme Lille et Strasbourg pour rejoindre les aéroports parisiens. Flight-Report vous propose de faire le point sur l’offre TGV Air en place chez plusieurs compagnies françaises et sur les changements à venir du point de vue de l’expérience passager.


TGV Air, un service largement répandu chez les compagnies aériennes françaises et étrangères

Le principe de TGV Air est de réunir sur une seule et même réservation l’ensemble du voyage, train inclus. Ainsi en cas de retard ou de perturbation sur l’un des deux moyens de transports, le passager est replacé sans aucun frais sur le prochain vol ou train disponible, garantissant un voyage serein de ce point de vue. Aujourd’hui, pratiquement toutes les compagnies françaises long-courrier proposent ce service : Air France, Corsair, Air Caraïbes, Air Austral, Air Tahiti Nui ; mais aussi des compagnies étrangères à l’image d’Emirates et d’Air Transat, pour des transferts sur les plateformes de Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly (via la gare de Massy TGV pour cette dernière). Le nombre de gares TGV concernées varie en fonction des compagnies mais couvre généralement une bonne partie du territoire français pour les destinations à moins de 3h30 en TGV de Paris, ainsi que la Belgique. Si le système paraît simple à première vue, le parcours client est lui loin d’être optimisé, nuisant de facto à l’attractivité du produit TGV Air et à la qualité de l’expérience client.

Partenariat TGV Air entre Air Caraïbes et la SNCF, couvrant une large partie du territoire © Air Caraïbes

Une prise en charge incomplète des passagers TGV Air et un parcours client peu optimisé

Première déconvenue, bien qu’une seule et même réservation regroupe les billets de train et d’avion, les passagers TGV Air n’ont en réalité pas accès à leur billet de train lors de l’enregistrement en ligne. Ainsi, quelle que soit la compagnie aérienne, le billet de train doit être retiré à l’aller et au retour entre 24h et 20 minutes avant le départ au comptoir TGV Air de la gare correspondante. Lors de cet enregistrement en gare et contrairement à un pré-acheminement en avion, les bagages des passagers ne sont pas pris en charge mais devront être déposés à l’aéroport de départ, ajoutant une nouvelle étape dans le parcours client. Les passagers éligibles ne disposent pas non plus d’accès aux salons. Seule exception : Air France pour ses passagers au départ (mais pas à l’arrivée) de la gare de Bruxelles-Midi où les bagages sont pris en charge jusqu’à la destination finale et où les passagers éligibles ont accès au salon Thalys. Hormis cette exception, les passagers TGV Air embarquent donc comme n’importe quel client de la SNCF, munis de leurs billets et bagages. Pas de traitement particulier à bord si ce n’est un voyage en 1ère classe en fonction des compagnies aériennes et classes de voyage. 

© Sconnie83_Grandvoyageur@Flight-Report

Une fois arrivé en gare, reste la question du transfert vers l’aéroport. Car si la gare de Roissy CDG est bien reliée aux différents terminaux par la navette CDG Val, ce n’est absolument pas le cas de la gare de Massy TGV, située à 15km d’Orly et impliquant une rupture de charge supplémentaire. D’une compagnie à l’autre les solutions de transfert entre Massy TGV et Orly varient. Les passagers d’Air France doivent emprunter un taxi offert par la compagnie, quand ceux d’Air Caraïbes et Corsair doivent emprunter une navette avec une fréquence d’un bus toutes les 30 à 45 minutes. Si théoriquement le transfert ne dure que 30 minutes, de nombreux contributeurs du site nous ont relaté des transferts bien plus longs, le trafic routier étant très dense autour d’Orly. Résultat, un transfert peu optimisé avec de nombreux retards et occasionnant du stress pour les passagers.

Offre TGV Air chez Air France via les gares de Massy TGV et Aéroport Charles de Gaulle 2 TGV © Air France

Dès l’aéroport atteint, les passagers TGV Air rejoignent le parcours client des passagers au départ de Paris, avec toutes les étapes à franchir : dépose bagage (parfois prioritaire selon les compagnies), PAF, PIF, etc. Le schéma est naturellement le même pour les vols retours, les passagers devant récupérer leurs bagages, rejoindre la gare TGV et récupérer leur billet pour enfin embarquer à bord du TGV.

Contrairement à un pré-acheminement en avion, l’option TGV Air impose donc des étapes supplémentaires au passager avec plusieurs ruptures de charge, augmentant le risque de perturbations. Cela se traduit généralement par un allongement du temps de trajet global, plus ou moins important en fonction du point de départ.

Un allongement du temps de trajet et des choix d’horaires plus restreints

La première cause d’allongement du temps de trajet pour le passager TGV Air est la correspondance entre le segment en train et celui en avion. Alors qu’une correspondance entre deux vols peut se réaliser au minimum en 40 minutes (50 minutes dans le cas d’une connexion internationale), les connexions TGV Air nécessitent au mieux 1h30 à Paris-CDG et 2h30 à Paris-Orly en raison de l’éloignement de la gare de Massy TGV. Il faut en effet laisser le temps aux passagers de rejoindre le terminal, de déposer leurs bagages puis passer l’ensemble des contrôles de sécurité, ce qui n’est pas le cas d’une correspondance entre deux vols où les passagers débarquent le plus souvent directement en salle d’embarquement, avec transfert automatique de leurs bagages.

La deuxième cause d’allongement du temps de trajet est le nombre limité de fréquences SNCF. Car si les fréquences de la SNCF sont très régulières vers les gares de Paris intra-muros, ce n’est pas toujours le cas pour les gares aéroportuaires, comme le montre le tableau ci-dessous :

Gares de départ (centre-ville)Nb. relations quotidiennes directes Roissy TGVNb. relations quotidiennes directes Massy TGV
Lyon86
Bordeaux25
Nantes48
Rennes37
Strasbourg34
Bruxelles80
Lille156
Nombre de fréquences SNCF vers les aéroports de Roissy CDG et Orly (sources OuiSNCF)

Les compagnies aériennes, n’ayant pas de maîtrise particulière sur les horaires de la SNCF, ne peuvent pas optimiser leurs horaires comme elles le font avec leurs vols via leurs hubs. Si cela ne pose pas de problème par exemple pour Lille ou Bruxelles à Paris CDG grâce aux nombreuses fréquences, la situation est plus problématique de Bordeaux à Paris-Orly, avec seulement 5 liaisons quotidiennes de la SNCF pour Massy TGV, à des horaires non cadencés. Les clients désirant rejoindre par exemple La Réunion avec French bee ou Corsair depuis Bordeaux subissent une correspondance de 4 à 5 heures. Demain il en sera de même pour les vols Air France à Paris-Orly vers La Réunion, alors que cette dernière proposait auparavant des correspondances en 1h grâce à sa dizaine de vols quotidiens depuis Bordeaux.

4h45 de correspondance pour un trajet Bordeaux-La Réunion via TGV Air sur French bee

Si le passager à destination des DROM n’a pratiquement aucun choix en dehors des compagnies françaises, le passager à destination de New-York, Bangkok ou encore Johannesburg dispose d’un choix multiple de compagnies internationales, offrant des pré-acheminement en avion via leurs hubs, avec des temps de trajet beaucoup plus courts. TGV Air rend par exemple l’offre de Corsair très peu compétitive entre Bordeaux et Montréal avec 14h30 de trajet, alors que d’autres compagnies proposent des trajets 100% avion via Londres ou Zurich en 10 à 11 heures.

Offre TGV Air peu compétitive de Corsair pour rejoindre Montréal depuis Bordeaux

Enfin, il est important de rappeler que si un nombre grandissant de villes sont situées à moins de 2h30 en TGV de Paris intra-muros, ce n’est pas le cas des gares desservant les aéroports. Bordeaux est au mieux à 3h45 de Roissy CDG (versus 2h pour le centre de Paris) et Nantes 3h. Cet allongement du temps de parcours a d’ailleurs justifié le maintien des vols domestiques d’Air France depuis Bordeaux, Nantes et Lyon vers Paris CDG (mais pas Paris-Orly). 

TGV Air, un enjeu écologique et économique

Avec presque 3000 kilomètres de LGV, le développement de synergies entre le réseau ferré et le transport aérien représente indéniablement un fort potentiel dans le contexte de réduction des émissions de CO₂. Pourtant, le service actuel s’expose à une forte disparité de l’expérience client en fonction des gares de départ et plateformes de correspondance. A ce titre l’offre d’Air France au départ de Bruxelles fait figure d’exemple avec un parcours optimisé, la prise en charge des bagages sur tout le parcours et in fine un gain de temps pour le passager. A contrario l’offre TGV Air à Paris-Orly via Massy TGV n’est pas adaptée et il sera même plus simple et rapide d’ici quelques années de rejoindre Orly depuis la Gare de Lyon, par la ligne 14 prolongée.

L’amélioration et le renforcement de l’attractivité de TGV Air passent avant tout par une meilleure coopération entre la SNCF et les compagnies aériennes : billetterie commune, prise en charge intégrale des bagages, horaires optimisés, service revu à bord et en gare, programmes de fidélité ou encore service client. N’oublions pas également la question des infrastructures, avec des gares moins confortables et accessibles que la plupart des aéroports. Les correspondances TGV Air imposant des temps d’attente parfois de plusieurs heures, la mise à disposition d’espaces d’attente confortables dans les gares est indispensable. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’enjeu est majeur car sans amélioration de l’offre actuelle, le risque est que le passager au départ des villes de province préfère un pré-acheminement en avion vers d’autres hubs (Londres, Francfort, Madrid, Amsterdam, …), au détriment des compagnies aériennes françaises mais aussi de l’environnement avec des itinéraires moins directs et donc plus polluants.