Paris, le 16 Mars 2020 – Alors que l’épidémie de Coronavirus/COVID-19 ne cesse de se répandre dans le monde, au point d’être dorénavant qualifiée de pandémie, les compagnies aériennes sont parmi les premières touchées, avec peu à peu une réduction drastique de leur offre. Certaines, telles qu’ Air Baltic ou encore Austrian Airlines, ont même été contraintes de suspendre pendant plusieurs semaines la totalité de leurs opérations. Du jamais vu à une telle échelle. Et nul doute que d’autres suivront d’ici peu.

L’impact économique est si fort que des spécialistes du secteur annonçaient, pas plus tard que ce matin via Bloomberg, l’inévitable faillite de la majorité des compagnies aériennes d’ici mai, sans actions gouvernementales coordonnées. Dans ce contexte particulier, Flight-Report vous propose de revenir sur la répartition des coûts d’une compagnie aérienne, pour mieux comprendre l’envergure du problème.

Un manque à gagner colossal et une trésorerie qui fond

Stopper les opérations d’une compagnie aérienne, cela signifie l’annulation de l’ensemble des vols concernés. A partir du moment où un vol est annulé, les compagnies aériennes doivent rembourser les passagers concernés, ce qui représente des sommes colossales à retourner. De nombreuses compagnies proposent aux passagers des modifications de dates ou des avoirs, afin de protéger leur trésorerie, mais nul doute qu’une majorité de passagers optera pour le remboursement. A cela s’ajoute la diminution drastique des réservations, et donc des rentrées de trésorerie.

Le volume de réservations n’est pas réduit uniquement pour les prochaines semaines, mais pour les prochains mois, raison pour laquelle plusieurs compagnies ont annoncé réduire leur offre jusqu’au mois de septembre. C’est donc la double peine pour les compagnies aériennes, qui en plus du manque à gagner, sont contraintes de rembourser massivement les passagers.  

4 vols Air France CDG-JFK Annulés le 16/03/20, et qui seront remboursés aux PAX concernés

Des coûts fixes qui demeurent élevés malgré la suspension des opérations

Mais ce n’est pas tout… Rentrons maintenant dans le détail des dépenses d’une compagnie aérienne pour mieux comprendre la dimension du problème.

Les frais de personnels, premier poste de dépenses de toute compagnie

Une compagnie aérienne, c’est avant tout des hommes et des femmes de terrain, au service des passagers. L’effectif d’Air France se composait ainsi de 11’843 PNC (Personnel Naviguant Commercial) et 3’804 PNT (Personnel Naviguant Technique) au 1er Mars 2019 (sources Air France Corporate).

S’ajoutent bien évidemment les 29’202 personnels au sol, dont bon nombre sont en contact direct avec les passagers dans les aéroports. Ainsi en moyenne, les frais de personnels représentent 30% des coûts d’une compagnie aérienne. Bien qu’une part des salaires soit liée au nombre d’heures de vol, la part fixe reste prépondérante. L’équation n’est bien évidemment plus viable dans des conditions où les avions ne volent plus et où la demande pour le transport aérien est quasi nulle.

Face à cette impasse, les premières mesures annoncées par les compagnies aériennes ont consisté à réduire tant que possible cette masse salariale. Gel des recrutements, congés sans solde chez Easyjet, non renouvellement d’emplois temporaires chez KLM, chômage technique. Partout dans le monde les compagnies prennent des mesures dans l’urgence. Et nos pensées vont directement à l’ensemble des personnels concernés, qui se retrouvent dans une grande incertitude, à commencer par ceux de la britannique Flybe.

La fausse bonne nouvelle de la baisse du cours du pétrole

Un prix du baril à $30, soit 4 fois moins qu’en 2008, le rêve pour toute compagnie aérienne ? Et bien uniquement dans une certaine mesure. En effet, le prix du baril de pétrole étant très volatile, la majorité des compagnies aériennes se protègent, avec des politiques de couverture carburant. C’est une nécessité car le carburant est le deuxième poste de dépenses, aux alentours de 20%.

Les compagnies aériennes vont ainsi négocier des swaps, ce qui consiste à acheter du carburant à prix fixe pour une période délimitée. Si le prix du carburant est supérieur au prix fixé dans le contrat, les compagnies sont gagnantes. Dans le cas contraire, elles sont perdantes. Ces contrats représentent généralement la majorité du kérosène acheté. Dans ces conditions avec une baisse aussi rapide du cours du pétrole, rares seront les compagnies gagnantes.

La question des appareils en leasing

Lors d’évènements aéronautiques majeurs, tels que le Salon du Bourget, les compagnies aériennes prennent beaucoup de plaisir à commenter leurs commandes géantes auprès des différents constructeurs. Pourtant, bon nombre ne précisent que discrètement qu’une part non négligeable des avions commandés ne l’est pas en pleine propriété, mais en leasing. Pour simplifier, ce sont des contrats de location entre les compagnies aériennes et des sociétés financières aéronautiques (GECAS, AerCap, etc). Grâce à ces sociétés, les compagnies peuvent financer leur forte croissance. A tel point qu’en 2020, la part du leasing représentait 50% de la flotte mondial au 1er Janvier 2020, contre 40% en 2014, ou encore 25% en 2000 (Statista).

Un avion en location, cela signifie un loyer à payer tous les mois. Pour une compagnie comme Air France, cela représente environ un tiers de la flotte, soit 76 appareils sur une flotte de 225 avions. Et bon nombre de compagnies opèrent une flotte en majorité louée : La Compagnie, Volotea, etc

Or, un avion en leasing, qu’il soit en vol ou cloué au sol, représente toujours la même charge pour une compagnie aérienne. Pour une compagnie comme Air France, cela représente des millions d’euros à verser tous les mois, attaquant une nouvelle fois le peu de trésorerie restant aux compagnies. Nul doute que certains accords seront trouvés pour des reports de charge, comme cela semble être le cas pour La Compagnie et ses deux Airbus A321neo, mais ces solutions ne seront que temporaires.

Une équation viable pour combien de temps ?

Dans ces conditions, la viabilité des compagnies aériennes et de leur personnel ne peut être assurée, surtout si la crise est amenée à durer plusieurs semaines. La balance ne penche plus que dans le sens des dépenses, et ces dernières ne pourront être couvertes que quelques temps. Combien de temps ? Question de jour pour certaines telles que Norwegian, de semaines pour d’autres, et peut-être de quelques mois pour les plus robustes financièrement, telles que les majors américaines.

Un soutien financier urgent devient dès lors inévitable. Et quand il s’agit de refinancer des compagnies aériennes déjà lourdement endettées, comme Norwegian ou Alitalia, les financements ne pourront venir que d’une recapitalisation étatique. Sauf énième retournement de situation, aucun investissement 100% privé ne viendra les sauver.

L’Etat français surveille aussi de près la situation d’Air France et lui a garanti son soutien, quelques soient les circonstances. Mais comment survivront les plus petites ? Quel modèle pour le secteur aérien après cette crise sans précédent ? Toutes ces questions sont aujourd’hui posées et toutes les hypothèses peuvent être avancées, dans un contexte où le secteur aérien vit probablement la plus grave crise de son histoire.