Paris, le 28 février 2020Londres-Heathrow, Paris Charles-de-Gaulle, Francfort-sur-le-Main : aucune autre région du monde ne concentre plus de passagers transportés au km2 que celle formée par le triangle reliant ces 3 gigantesques hubs européens. En 2019, l’arrêt de production de l’A380 et le succès fulgurant de l’A321neo ont, pour beaucoup, montré les limites du modèle de hub prôné par les compagnies aériennes traditionnelles. Transporteur principal au sein de leur groupe respectif, les trois plus grandes compagnies aériennes traditionnelles d’Europe en termes de passagers, British Airways, Lufthansa et Air France, structurent encore une grande partie du ciel européen depuis leurs hubs.

Opérations, réseau, programme, expérience passager, Flight-Report dresse une comparaison détaillée des 3 majors européennes et de l’exploitation qu’elles font de leurs hubs principaux.


OPÉRATIONS : DES PROFILS DE HUBS DIFFÉRENTS

Avec 81 millions de passagers accueillis en 2019, Londres Heathrow, hub principal de British Airways, reste l’aéroport le plus fréquenté d’Europe. Néanmoins, la compagnie britannique contrôle moins de la moitié du trafic sur la plateforme : d’une part Heathrow est connu pour accueillir une grande diversité de compagnies aériennes, et d’autre part, la concurrente Virgin Atlantic y a également établi son hub principal. Avec respectivement 76, 71 et 48 millions de passagers en 2019, CDG, FRA et MUC accueillent certes moins de trafic que LHR, mais Air France et Lufthansa ont une mainmise plus importante sur leurs plateformes : 54% des passagers au départ et à l’arrivée de Paris CDG sont des passagers Air France, et ce chiffre atteint même 61% à Francfort pour Lufthansa.

Opérations : des profils de hubs différents

Bien que Francfort demeure le hub historique de Lufthansa (56% des vols), la compagnie nationale allemande a depuis quelques années développé une part croissante de ses activités dans son hub de Munich (44% des vols). Aujourd’hui la stratégie de Lufthansa repose en en grande partie sur la complémentarité de ces deux hubs.

British Airways a, elle, choisi de principalement se concentrer sur Heathrow (plus de 2/3 de tous les vols BA) : Londres Gatwick accueille néanmoins une bonne partie des liaisons loisirs moyens et long-courriers, tandis que les quelques vols à Londres City visent majoritairement une clientèle corporate. Il faut aussi rappeler que Heathrow s’inscrit dans une logique de double-hub avec l’aéroport de Madrid dans le cadre du regroupement d’Iberia et de British Airways au sein d’IAG.

Air France se situe dans un entre-deux où CDG concentre la grande majorité du trafic (61%), mais où la plateforme d’Orly ainsi que les autres bases françaises restent importantes, notamment pour les liaisons domestiques en métropole et vers les DOM-TOM. Avec les ouvertures récentes de liaisons moyens-courriers au départ d’Orly, l’aéroport sera peut-être amené à jouer un rôle encore plus important pour la compagnie française dans le futur. Dans le cadre de la stratégie de groupe Air France-KLM, il faut là aussi rappeler le rôle complémentaire du hub d’Amsterdam vis-à-vis de celui de CDG.

RÉSEAU ET PROGRAMME : PERMANENCE DES CHASSES GARDÉES HISTORIQUES

Par définition, un hub doit pouvoir être une plateforme de correspondances d’où partent et où arrivent une grande quantité et une large variété de vols, rendant possible un maximum d’itinéraires. Les 3 majors européennes sont pourtant exposées au transit à des degrés différents dans leurs hubs principaux. Le réseau proposé aux passagers ainsi que le programme de vols révèlent des positionnements géographiques et stratégiques différents chez chacune.

Les hubs de Francfort et Munich se distingue nettement de ceux de Paris CDG et de Londres Heathrow par leur profil de correspondances : plus de 2/3 des passagers de Lufthansa à Francfort et à Munich sont en transit ! Paris et Londres sont soutenues par un trafic local plus conséquent : si la part des passagers locaux est quasiment égale à celle des passagers en correspondance pour Air France à CDG, le trafic local pour British Airways à LHR est largement majoritaire avec 61% du total de passagers.

Réseau et programme : permanence des chasses gardées historiques

Sans surprise, en Amérique du Nord, British Airways devance largement ses deux compétitrices. En plus de proposer plus de fréquences (2 fois plus qu’Air France au départ de CDG par exemple), et plus de destinations aux États-Unis et au Canada au sein de son réseau propre, la compagnie britannique offre également plus de vols avec un départ en soirée, des créneaux rares ou inexistants chez Air France et Lufthansa pour cette région du monde.

Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, Air France est largement en tête avec un nombre de liaisons et de destinations jusqu’à 3 fois plus important que British Airways à LHR. Pour cette région, Air France marque notamment une nette différence sur la première vague de départ du hub (en début et fin de matinée), là où British Airways est très peu présente.

En Asie, les jeux sont plus serrés avec des plages de départ plus dispersées dans la journée entre les 3 compagnies. En termes de fréquence, Lufthansa sort néanmoins en tête avec plus de 27 liaisons quotidiennes depuis ses hubs de Francfort et Munich. Au niveau de la variété des dessertes, c’est également Lufthansa qui se distingue avec 22 destinations, notamment grâce à une plus forte exposition à l’Asie centrale.

Enfin, l’Afrique reste la chasse gardée d’Air France. C’est notamment en Afrique occidentale et au Maghreb que la compagnie française fait la différence tant au niveau des fréquences que de la diversité du réseau. Au Moyen-Orient, British Airways et Lufthansa offrent ceci-dit plus de dessertes que leur rivale française.

EXPÉRIENCE PASSAGER AU SOL : COMPROMIS ENTRE PREMIUM ET EFFICACITÉ ?

En termes d’expérience au sol, les défis sont nombreux. Pour une compagnie aérienne, garantir une bonne fluidité au sein et entre les terminaux de son hub, s’assurer de l’accessibilité ainsi que de la compétitivité de celui-ci tant en termes de services que de qualité des espaces réservés à ses plus haut contributeurs, dépend souvent d’acteurs extérieurs et implique des investissements coûteux.

Expérience passager British Airways à Londres Heathrow

Globalement, British Airways à LHR semble proposer l’une des meilleures expériences passagers au sol. Forte de la liaison de l’aéroport de Heathrow au réseau de métro de Londres ainsi que de l’efficace Heathrow Express, la compagnie britannique devance ses compétitrices en termes d’accès avec 8,2/10 de note moyenne. LHR opéré par British Airways obtient également de très bonnes moyennes de propreté et de services (respectivement 8,2/10 et 8,3/10). L’expérience passager pourrait en revanche gagner en fluidité : avec une partie des vols BA toujours opérés depuis le Terminal 3 (à droite sur l’infographie), le transit par bus est souvent long pour joindre le reste du Terminal 5. Il faut aussi noter que, les portes d’embarquement étant annoncées souvent tard à LHR, les passagers en transit au Terminal 5 doivent souvent revenir au satellite principal (à gauche sur l’infographie). Enfin, c’est surtout l’expérience premium au sol qui est jugée en deçà de ce que proposent les compétitrices avec une moyenne globale de 7,5/10 pour les 4 salons Business et 2 salons First.

Expérience passager Air France à Paris CDG

Le CDG opéré par Air France ne brille ni par son accessibilité, plusieurs fois déplorée par nos contributeurs, ni par sa propreté, deux critères pour lesquels le hub écope de la plus mauvaise note. Néanmoins, les niveaux de fluidité et de prestation de services sont jugés équivalents à ceux de British Airways à Heathrow. Pourtant, Air France, avec 3 terminaux et 5 bâtiments différents à CDG, est la major la plus éparpillée sur sa plateforme. Contrairement à sa consœur britannique, la compagnie française a choisi de décentraliser les filtres de sécurité dans chaque satellite. La liaison par bus entre le Terminal 2G (d’où opèrent les vols Air France Hop!, à droite sur l’infographie) et le reste des terminaux reste ceci-dit problématique. La qualité des salons (notamment le salon La Première) est remarquée par nos contributeurs qui attribuent à l’ensemble des lounges une moyenne générale de 7,7/10.

Expérience passager Lufthansa à Francfort et Munich

Au niveau de l’expérience passager aux salons, c’est Lufthansa à Francfort qui récolte la meilleure note. Lufthansa réserve non seulement certaines parties de ses salons exclusivement à ses membres encartés, mais elle propose aussi, en plus de 2 salons First, un terminal entier dédié à ses passagers voyageant en Première. L’expérience au salon à Munich est jugée nettement inférieure à celle de FrancfortMUC récolte ceci-dit de meilleures notes que FRA pour tous les autres indicateurs, ce qui pourrait en partie s’expliquer par sa taille réduite comparée aux trois autres hubs de cette étude. La différence par rapport à FRA s’atteste surtout au niveau de la fluidité (8,6/10 pour MUC contre 7,5/10 pour FRA) : l’apparente efficacité d’un bâtiment unique à FRA cache d’une part la longueur des distances à pieds, mais aussi les très fréquents embarquements et débarquements par bus maintes fois notés par les contributeurs de Flight-Report.

CONCLUSION

La course pour le contrôle du trafic européen bat son plein entre les 3 majors européennes. Il leur faudra agir avec ingéniosité pour faire valoir la pérennité du modèle de hub et proposer une expérience toujours plus qualitative et fluide au départ, à l’arrivée et au transit de ces immenses plateformes.

Il sera intéressant de voir comment ces grandes compagnies adapteront leurs hubs aux enjeux de demain : comment atteindre les niveaux d’efficacité des low-costs tout en proposant une expérience passager digne de celle des compagnies du golfe ? Comment garantir un bon niveau de fluidité et de services avec un trafic en croissance constante et des infrastructures bientôt saturées ? Comment rendre l’exploitation des hubs plus respectueuse des contraintes environnementales ?

La rénovation des salons récemment entreprise par l’ensemble des trois concurrentes, le projet (a priori abandonné) de construction d’une nouvelle piste à Londres Heathrow, ou le futur Terminal 4 à Paris CDG, sont autant de débuts de réponses donnés à ces questions qui structureront le hub européen de demain.  

Méthodologie

Moyenne des notes attribuées à CDG, LHR, FRA et MUC au départ et à l’arrivée de vols respectivement opérés par Air France, British Airways et Lufthansa. Les salons d’arrivée n’ont pas été pris en compte dans le calcul des moyennes. Récits de voyages effectués entre le 1 Janvier 2017 et le 20 janvier 2020. 3227 récits ont été comptabilisés pour établir ces moyennes. Données de trafic pour une semaine type en janvier 2020.

N.B : Cette analyse aurait pu être bien plus exhaustive en s’attardant sur les autres majors que compte le continent européen, mettant également de ce fait en évidence le jeu des alliances et autres groupements de compagnies aériennes qui n’ont pas été abordés dans cet article. Par souci de lisibilité et d’équité entre les trois grands groupes que sont IAG, Lufthansa Group et Air France-KLM, nous avons fait le choix de nous concentrer sur la compagnie la plus importante en termes de trafic au sein de chacune de ces trois entités.

Infographie #32 - Les majors européennes et leurs hubs principaux