Paris, le 2 novembre 2020 – Il y a une semaine, John Holland-Kaye, PDG de l’aéroport international de Londres Heathrow, annonçait à l’occasion de la publication des résultats trimestriels que l’aéroport londonien venait de perdre sa position historique de premier aéroport d’Europe au profit de Paris Charles-de-Gaulle.

Flight-Report vous propose d’analyser plus en détails les chiffres de trafic pour comprendre si l’aéroport parisien conservera cette nouvelle première place, ou s’il s’agit-là d’un effet temporaire lié aux perturbations occasionnées par le Covid-19.


Une position de leader historique incontestée jusqu’à la crise du Covid

Londres Heathrow a longtemps occupé la place de premier aéroport du continent européen en termes de trafic passagers, respectivement suivi de Paris Charles-de-Gaulle, Amsterdam Schiphol et Francfort-sur-le-Main. Principal aéroport d’une mégalopole dynamique comme Londres, qui entretient de surcroît des relations commerciales et culturelles de longue date avec un grand nombre de pays, Heathrow avait jusqu’alors conservé sa place de leader malgré le développement des autres aéroports londoniens (City, Gatwick, Stansted, Luton et Southend).

Heathrow est un hub majeur pour British Airways et Virgin Atlantic, qui ont toutes deux basé une grande part de leur flotte d’appareils gros porteurs et à double pont sur la plateforme, leur permettant, malgré la régulation des créneaux sur l’aéroport, de transporter toujours plus de passagers à travers Heathrow … jusqu’à l’éclatement de la crise du Covid19. L’aéroport, comme d’autres, a certes vu son trafic chuter à des niveaux records, mais s’est également fait subtiliser la première place par son rival français.

Comment les conséquences du Covid19 combinées aux mécanismes pré-existants ont-ils permis à Paris CDG de rattraper en quelques mois un retard pourtant historique ? Et quelle pourrait être la durabilité de cette recomposition ?

Le nombre de vols va devenir clé

Bien que Heathrow ait tenu le haut du classement en volume de passagers, Paris CDG a régulièrement devancé l’aéroport londonien en termes de nombre de mouvements d’appareils (i.e. nombre de départs et d’arrivées) au cours des dernières années, et particulièrement durant la saison estivale.

Cette inversion de tendance, que l’on regarde l’un ou l’autre des indicateurs, s’explique essentiellement par la saturation de Londres Heathrow, dont l’extension des capacités aéroportuaires à travers la construction de nouvelles infrastructures a été au cœur des discussions ces dernières années. Avec un unique doublet de pistes non-indépendantes, la capacité actuelle de Heathrow est de 90 mouvements par heure (capacité utilisée à 99% avant la crise). En comparaison, Paris CDG bénéficie de deux doublets indépendant de pistes portant la capacité de l’aéroport à 120 mouvements par heure (utilisée à 80%). Le projet de construction d’une troisième piste à Heathrow est discuté depuis plusieurs années sans réponse définitive de la part des autorités britanniques à l’heure actuelle.

Cette problématique de saturation a structuré le trafic de Heathrow autour d’une accumulation d’appareils très gros porteurs sur la plateforme avant la crise du Covid (Heathrow ayant régulièrement été remarqué comme l’aéroport accueillant le plus grand nombre d’A380s en Europe). Et c’est sur ce point, peut-être plus marqué à Heathrow que dans d’autres aéroports, que le Covid a cristallisé la fragilité de l’exposition des grands hubs européens au transport de masse et de correspondance.

D’une part, Heathrow a certainement pâti de mesures de quarantaine plus strictes et moins prévisibles imposées par les autorités et applicables aux voyageurs à l’arrivée sur le sol britannique (avec une conséquence évidente sur le trafic passager).

Néanmoins, même à supposer que l’effet des politiques publiques ait été le même dans les deux pays, il y a fort à parier que Heathrow aurait encore perdu sa première place au profit de Paris CDG. Le nombre moyen de passagers par vol, atteignant 154 pax/vol pour Heathrow pré-Covid, contre 136 pax/vol pour CDG, s’est réduit en répercussion de la crise du Covid19, et s’est aligné sur un nouveau ratio qui semble maintenant en ligne avec celui de CDG.

Concrètement, deux effets sont ici à l’œuvre : le Covid a d’une part incontestablement réduit le remplissage à bord des avions, mais il a aussi eu pour conséquence de diminuer la taille moyenne des avions opérant sur ces plateformes, avec la mise au rebut d’une proportion significative d’avions gros porteurs des flottes internationales (au premier rang desquels les Boeing 747 et Airbus A380). S’il n’y a que peu de doutes sur le fait que le remplissage des avions se rétablira au terme d’une reprise du transport aérien, la seconde tendance semble s’inscrire dans une transition plus structurelle de l’industrie aéronautique vers des appareils de plus petit gabarit, ce qui pourrait mettre en péril les perspectives de Heathrow à retrouver sa place de leader à moyen terme.

L’accélération d’un bouleversement attendu ?

Déjà en amont de la crise du Covid, de forts signaux laissaient penser que Paris CDG serait amené à rattraper et dépasser Londres Heathrow dans les années à venir. De 2005 à 2019, la croissance historique moyenne du trafic passagers à Paris CDG a en effet était plus forte que celle de la plateforme londonienne (quasiment le double). En projetant le volume de trafic sur la base de ces croissances historiques respectives, le rattrapage aurait pu se produire dès 2025. Fait-on alors face, comme il a pu être dit d’autres tendances du secteur, à la simple accélération par le Covid d’un phénomène déjà en gestation ?

La porte d’entrée vers l’Amérique du Nord

Plutôt qu’une accélération, il faudrait s’intéresser aux signes d’une recomposition, peut-être temporaire, du hub britannique, qui explique aussi son déclassement au profit de Paris CDG. Jusqu’à peu considéré comme la porte d’entrée européenne vers l’Amérique du Nord au regard de ses nombreuses liaisons vers les États-Unis et le Canada, Heathrow était de fait placé en première ligne à l’heure de la fermeture des frontières américaines aux voyageurs européens qui a drastiquement réduit le trafic transatlantique.

À l’heure du Brexit, Heathrow semble paradoxalement ré-émerger comme un hub plus européen, aux dépens de son inclination transatlantique historique. Est-ce le visage du nouveau Heathrow ou la manifestation temporaire d’un retour progressif vers l’ancienne configuration ?

Les vols transatlantiques finiront par être rétablis, et Heathrow continuera certainement de jouer un rôle clé sur ce segment. Mais la forme que prendra la reprise de ces liaisons longs-courriers à terme sera certainement clé. Peut-être plus essentiellement pour Heathrow, très peu fréquenté par les compagnies low cost, le niveau auquel se rétablira le voyage d’affaire aidera également à dessiner le visage de la nouvelle porte d’entrée britannique vers le monde.

Photographie : © LHR Airports Limited