Norwegian, la compagnie lowcost long-courrier
Paris le 2 octobre 2019 – Souvent pointée du doigt, la compagnie lowcost Norwegian est accusée d’avoir participé à la chute d’XL Airways par son PDG Laurent Magnin qui s’en est ému auprès du ministre l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire. Flight-Report vous propose de comprendre à travers ce dossier comment Norwegian s’est imposé sur le transport low-cost long-courrier européen.
Le 29 septembre 2019 au micro du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, le ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire est interrogé sur les faillites qui se succèdent dans le ciel français, il déclara:
Vous avez une compagnie, Norwegian qui casse les prix et qui peut expliquer les difficultés de XL Airways. Elle casse les prix, elle est endettée, mais elle a un soutien public norvégien. Je ne peux l’accepter parce que les règles de concurrence doivent être les mêmes pour tous […] donc j’écrirai à la Commission européenne dès la semaine prochaine pour leur dire de mettre bon ordre à tout ça. Nous ne pouvons pas accepter qu’une compagnie comme Norwegian casse les prix avec un soutien public norvégien au détriment de nos propres compagnies.
Bruno Lemaire, ministre français de l’Economie et des Finances
Le ministre de L’Economie et des Finances accuse l’état Norvégien de profiter de sa non adhésion à l’Union Européenne pour subventionner Norwegian. Cette «sortie» sur la compagnie Norvégienne est une très bonne occasion pour faire un point sur celle qui est devenue, en quelques années, la troisième compagnie lowcost européenne et qui a bouleversé le marché du vol transatlantique.
L’histoire de Norwegian
A l’échelle des compagnies historiques, Norwegian est une jeune pousse puisqu’elle est âgée de seulement 26 ans, bien loin des 100 ans de KLM ou des 85 ans d’Air France.
En 1993, la petite compagnie lance ses opérations sur des liaisons régionales en Norvège Occidentale pour le compte d’une autre compagnie, Braathens, avec une flotte de quelques Fokker 50. Sous la direction de l’entrepreneur Bjørn Kjos, Norwegian Air Suttle entame un virage à marche forcée en 2002 suite à l’absorption de Braathens par le groupe SAS.
Norwegian Air Shuttle devient la low-cost Norwegian, elle se sépare de ses Fokker 50 pour louer 8 Boeing 737-300 et s’installe sur des lignes régionales à fort potentiel. Elle entre en bourse en 2003 puis signe des accords code-share avec les compagnies Fly Nordic et Sterling Airlines. La compagnie va monter en puissance avec l’ouverture sa première base étrangère à Varsovie (via une filiale), le rachat de Fly Nordic et la commande de 42 Boeing 737-800. Elle est alors la plus grande compagnie low-cost de Scandinavie et elle est bénéficiaire.
La conquête du lowcost long-courrier
En 2009, Norwegian annonce qu’elle souhaite s’étendre vers le vol long-courrier avec des Oslo-New York et Oslo-Bangkok et qu’elle étudie le marché asiatique long-courrier. La compagnie déclare ensuite qu’elle envisage de desservir au moins une quinzaine de lignes intercontinentales, principalement vers l’Amérique du Nord et l’Afrique.
Elle marque les esprits en 2011 en devenant la première compagnie aérienne low-cost à proposer une connexion WiFi gratuite en vol sur les destinations européennes. Dans la foulée, elle choisi le Boeing 787 pour ses liaisons long-courrier et signe un contrat de location pour 3 appareils auprès du loueur ILFC. Ces deux choix affirment l’image moderne qu’elle dégage auprès des voyageurs. La croissance de la compagnie est très forte, elle passe commande de 100 Boeing 737 MAX 8 et 100 Airbus A320neo (suspendue depuis).
Fin 2012, Norwegian indique vouloir ouvrir sa première et principale base long-courrier étrangère à Londres – Gatwick.
Le premier 787 rouge et blanc atterrit à Oslo le 30 juin 2013 et déjà, l’opérateur rencontre de sérieux problèmes techniques. Une polémique éclate puisque les Dreamliners sont immatriculés en Irlande via une filiale (baptisée Norwegian Air International) pour contourner la législation Norvégienne afin d’employer des équipages Thaïlandais. L’Irlande prend du retard dans la délivrance du certification d’opération (AOC) mais l’autorité de l’aviation civile norvégienne autorise exceptionnellement la compagnie à opérer sous licence locale avec des avions Irlandais (les équipages asiatiques ne représentent plus que 5% selon la compagnie aujourd’hui). SAS Scandinavian Airlines dénonce une aide injuste de l’état Norvégien pour contourner la loi.
La compagnie qui casse les codes du lowcost
Avec ses Dreamliners, Norwegian surprend en cassant les codes du lowcost: écrans individuels pour tous les passagers, catering à la demande via l’IFE, sièges Premium, cabine confortable mais tarifs sans repas ni bagage. Un nouveau standard est né.
Animée par sa forte croissance, la compagnie lowcost multiplie les ouvertures de bases et lignes au prix d’un fort endettement. En 2018 elle transporte 37 millions de passagers, emplois 11’000 personnes et propose 500 lignes : elle devient le premier transporteur non basé aux Etats-Unis sur le marché transatlantique. Cependant, sa situation financière interroge le milieu aérien : des doutes s’installent sur la viabilité de son modele économique.
En 2019, des discutions entre IAG et Norwegian sur un éventuel rachat sont rapportées par la presse sans que celles ci n’aboutissent. Malgré un chiffre d’affaires en hausse de 19% et un bénéfice d’exploitation qui a quadruplé, la compagnie croule sous plus de 3 miliards d’euros de dettes, des fonds sont alors réinjectés en urgence. Bjørn Kjos, cofondateur et directeur historique est remplacé par Geir Karlsen.
En septembre 2019 elle frôle la faillite: Norwegian est sauvée de justesse par ses créanciers qui acceptent de revoir l’échelonnement du remboursement de sa dette.
Qui sont les actionnaires de la compagnie Norwegian ?
Norwegian est cotée en bourse depuis 2003, elle possède une multitude d’actionnaires et nous allons nous concentrer sur les principaux.
L’actionnaire majoritaire est HBK Holding (24.66%) il s’agit en fait des parts de Bjørn Kjos et Bjørn Kise, les fondateurs de la compagnie. Vient ensuite le puissant fond de pension du gouvernement Norvégien « Folketrygdfondet » (6,04%, destiné au soutien et au développement des entreprises norvégiennes), la banque Norvégienne DnB NOR (3.94%), une banque danoise Danske Bank (2.57%) puis une multitude de fonds d’investissements et de banques.
Norwegian est donc bel est bien adossée à l’état Norvégien. Mais, comme l’explique cet article de La Tribune, Folketrygdfondet ne représente que 6,04% et le ministère norvégien du commerce et de l’industrie ne possède que 34% de la banque DnB. C’est très loin des parts directes de l’état Français et Hollandais (30%, actionnaire majoritaire) dans AirFranceKLM ou des 15% Italiens dans Alitalia. Rappelons également, que l’Allemagne est complètement sortie du capital de la Lufthansa en 1997 et que l’actionnaire principal du groupe IAG est le Qatar à hauteur de 21%.
Que reproche t-on à Norwegian ?
Les regards sont surtout tournés vers l’injection de capital de février 2019. En effet, les négociations avec IAG ayant échoué, Norwegian est dans une situation critique avec sa dette de plus de 3 milliards d’euros . Elle vend ses parts dans la banque en ligne « Bank Norwegian » qu’elle a crée, mais cela ne suffit pas : elle doit aussi lever 309 millions d’euros en nouvelles actions.
Les 309 millions d’euros de capital sont garantis par ses actionnaires principaux: la Danske Bank, le milliardaire norvégien John Fredriksen et donc la DnB NOR. Bercy semble accuser la Norvège d’avoir renfloué le transporteur via cette garantie apportée par DnB NOR et la participation du fond « Folketrygdfondet » à l’augmentation de capital.
Cette accusation est à prouver dans le sens où la DnB NOR est une banque privée (avec 34% de participation de la Norvège) et que le fond Folketrygdfondet est alimenté uniquement par les dividendes de ses placements en plus d’être géré par une entité indépendante.
La compagnie à aussi longtemps été accusée d’utiliser l’Irlande pour pratiquer du dumping social et profiter de droits de trafic octroyés par l’Union européenne alors que son pays d’origine, la Norvège, n’en est pas membre. L’accusation de dumping est aujourd’hui contestable puisque désormais, la plupart de ses équipages sont sous contrats locaux. Quant à la Norvège, elle adhère depuis 2011 à l’accord « ciel ouvert » (comme L’Islande) entre l’Union Européenne et les États-Unis. Cela qui signifie qu’une compagnie Norvégienne doit respecter les mêmes règles qu’une compagnie implantée dans l’Union européenne en échange d’un accès au marché intérieur.
Rendre la Norvège responsable de la chute de XL Airways est donc fortement discutable surtout si l’on prend en compte la concurrence frontale de French bee et LEVEL sur l’outre-mer et les destinations « loisirs » avec des avions neufs.
Immobilisation et problèmes techniques
En plus de sa dette écrasante, Norwegian est touchée de plein fouet par des problèmes techniques majeurs. Tout d’abord, il y a l’usure prématurée du moteur Roll Royce Trent 1000 qui équipe ses 787 et qui implique de lourdes opérations de maintenance puis l’immobilisation des 18 737MAX suite aux crashs du vol Ethiopian 302 et Lion Air 610.
Ces immobilisations génèrent d’importantes tensions dans la flotte avec des annulations et retards de vol et le recours à de coûteux « wet lease » (un A330 Wamos opère en ce moment même sur CDG-JFK) qui devraient cependant être amortis par une compensation financière du constructeur.
La compagnie lowcost Norwegian en France
Depuis 2016, la compagnie scandinave s’implante progressivement à Paris-CDG avec l’ouverture d’une base pilote long-courrier et personnel naviguant. 260 employés (en CDI) opèrent à bord de 5 Boeing 787 depuis l’aéroport Parisien, de quoi alimenter 7 routes vers les Etats-Unis. 1,5 million de passagers ont été transportés sur ces routes depuis leur ouverture en 2016.
Face au succès de la compagnie lowcost Norvégienne, la concurrence fourbit ses armes: le groupe IAG a lancé LEVEL et le groupe Dubreuil French bee, deux nouvelles compagnies low-cost long-courrier. Elles reprennent toutes les deux ce qui a fait le succès de Norwegian : bagage en soute et repas payants, digitalisation maximum, cabine premium et écrans individuels pour tous.
Les autres compagnies européennes n’ont eu d’autre choix que de s’adapter : les offres agressives s’enchainent et afficher des billet sans bagage en soute est devenu la norme, ne serait-ce que pour être correctement placé dans les comparateurs de vols. Les passagers sont aussi devenus plus exigeants et posséder un produit compétitif/moderne est un critère essentiel dans leur choix : le low-cost (long-courrier) oui, mais pas à n’importe quel prix.