Paris, le 29 Juin 2020 – En plein cœur d’une crise d’une ampleur inégalée, c’est une décision courageuse et justifiée qu’a pris Air France le 20 Mai dernier en annonçant le retrait anticipé et définitif de ses 9 derniers Airbus A380. Après seulement 10 années de service chez d’Air France et même seulement 6 pour l’exemplaire le plus récent (F-HPJJ), le constat est sans appel : Air France n’a jamais réussi à rentabiliser ses superjumbos et à en faire le fleuron de sa flotte. Flight-Report vous propose aujourd’hui de revenir sur les raisons de cet échec du point de vue de l’expérience passager, en s’appuyant sur les nombreux récits de nos contributeurs.


Un A380 densifié, source d’économies ?

Avec une commande initiale pour 12 appareils, Air France a souhaité dès le départ faire de l’A380 une source d’économies permettant typiquement de fusionner deux vols : le premier opéré en Boeing 777-200ER sur le pont inférieur et le second opéré en Airbus A340-300 sur le pont supérieur. Pierre-Henri Gourgeon, ancien directeur général d’Air France, déclarait ainsi en 2009 à nos confrères du Monde : « chaque A380 rentrant dans la compagnie va lui permettre d’économiser annuellement de 12 à 15 millions d’euros. Ce qui offre à Air France, dans le contexte économique dégradé actuel, un nouveau levier pour amortir la crise ». Alors que Singapore Airlines, Qantas ou encore Emirates (pour ses premiers exemplaires) misaient sur les classes avant avec des configurations très premium, Air France a opté pour une configuration densifiée accueillant 538 passagers, loin devant les configurations de Korean Air (407 sièges) ou encore Singapore Airlines (379 sièges). L’A380 d’Air France visait donc à être positionné sur des lignes à fort trafic, à l’image de Paris-New York. Une stratégie pour le moins risquée car malgré la forte croissance du trafic aérien, remplir 12 A380 tout au long de l’année avec 449 sièges en classe économique est loin d’être évident. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle hormis New-York et Los Angeles desservies sans interruption, Air France n’a jamais cessé de redéployer ses A380, abandonnant les dessertes de Montréal, Singapour, Tokyo ou encore Hong Kong, faute de remplissage suffisant et testant de nouvelles destinations à l’image d’Abidjan ou encore Mexico.

Une cabine loin des meilleurs standards de l’industrie dès sa mise en service

Manque d’ambition ou mesure d’économie, une chose est sûre : à sa mise en service, l’A380 d’Air France était déjà loin des meilleurs standards de l’industrie aéronautique dans toutes les classes de voyage. En effet, en plus d’avoir fait le choix discutable d’une configuration assez dense, Air France n’a pas amélioré son « hard product », en particulier dans les classes avant. Un choix regrettable dans un marché aussi concurrentiel que le transport aérien. Rien que sur la ligne Paris-New York, ce ne sont pas loin d’une dizaine de compagnies qui entrent en concurrence. Le passager a donc le choix de se tourner vers la compagnie lui proposant le meilleur produit.

En classe affaires, Air France a fait le choix de la continuité en installant des sièges « Lie Flat », les célèbres NEV (Nouveaux espaces du voyage), en service depuis 2004 sur une partie de sa flotte. Un choix décevant alors que les différents équipementiers de l’époque proposaient de bien meilleurs produits. Les seules évolutions positives pour le passager furent le silence de l’A380 et sa configuration en 2-2-2 sur le pont supérieur, contrairement au 2-3-2 installé sur les Boeing 777. Dans le même temps, Singapore Airlines qui avait mis en service ses A380 deux ans plus tôt, optait pour une classe affaire révolutionnaire en 1-2-1 avec des sièges de type full flat et un des IFE les plus larges du marché. Thaï Airways ou encore Emirates en firent de même, de façon moins aboutie que Singapore Airlines, référence en la matière.

Cabines Business A380
Cabines Business sur les A380 de Singapore Airlines (à gauche © Pititom) et Air France (à droite © Marcety)

En première, le constat est encore plus évident avec un siège n’offrant guère d’intimité et un IFE très loin des standards de l’époque. Au même moment, Emirates, Singapore Airlines, Malaysia Airlines, etc. proposaient déjà de véritables « mini suites » fermées tout confort.

First A380
Cabines First sur les A380 d’Air France (à gauche © AnthonyTahiti) et Emirates (à droite © Leadership)

Enfin, en classes économique et premium économique, les sièges retenus sont dans la moyenne avec comme point négatif l’IFE d’une qualité d’image tout juste correcte. Une majorité de compagnies concurrentes clientes de l’A380, y compris européennes, proposaient déjà de meilleurs IFE, notamment avec les produits de Panasonic.

Pour résumer, l’A380 d’Air France était donc un vrai bon en avant du point de vue technique et technologique, mais un statu quo du point de vue de l’expérience passager.

Une mise en valeur des espaces décevante

Faire le choix de l’A380, c’était également la promesse de plus d’espace pour les passagers. Avec ses deux étages, l’A380 offre une multitude d’options de mise en valeur de l’espace aux compagnies clientes : bar, espace lounge ou détente, douches, etc. La plupart des compagnies ont réussi à merveille à profiter de cet espace, à l’image bien sûr d’Emirates avec son très apprécié « onboard lounge », ou encore Qatar Airways (bar central) et Qantas (salon lounge). De son côté, Air France a installé une « galerie » à l’avant du pont supérieur, avec des écrans sur lesquels les passagers pouvaient contempler des œuvres d’arts des quatre coins du monde. Un échec dans l’exécution avec un espace absolument pas cosy et sans siège. Résultat, l’espace a été très vite ignoré par les passagers, ce qui est fort regrettable dans un appareil à 445 millions de dollars où chaque m² doit être rentabilisé… Aucun effort particulier n’a non plus été fait au niveau des bars, Air France se contentant d’un aménagement standard là où ses concurrentes ont innové.

Lounge A380
Lounge Emirates (à gauche © Leadership), Galerie chez Air France (à droite © Matt Pyke)

Une remise à niveau sans cesse repoussée

Malgré le constat d’un aménagement loin des meilleurs standards de l’industrie, Air France a pris livraison de ses derniers exemplaires d’Airbus A380 avec une configuration toujours identique, le seul progrès étant le passage aux sièges NEV4 en Business. Dans le même temps, Air France a lancé le retrofit d’une partie de ses Boeing 777 en 2014 avec l’arrivée du siège Best et son très attendu « 3F » (« Full flat, full access and full privacy »), produit très apprécié par nos contributeurs dans l’ensemble des classes de voyage. De son côté, l’Airbus A380 n’a jamais eu le droit à ce traitement et s’est retrouvé en queue de peloton avec son produit. A tel point que ce magnifique avion est devenu l’avion à éviter, surtout pour les voyageurs en classes avant, nombre de nos contributeurs privilégiant sans hésitation les rotations opérées en Boeing 777 lorsque cela était possible, l’expérience passager étant tout autre pour un même tarif. Notre infographie du 5 Mars 2019 consacrée à l’Airbus A380 soulignait très clairement ce constat, Air France étant classée par nos contributeurs sur le critère du confort :

Comparaison de l’expérience passager à bord des compagnies clientes de l’Airbus A380 © Flight-Report

(NB : toutes les compagnies clientes de l’A380 ne proposent pas de Premium Economy et de Première).

Au-delà des notes attribuées, nos contributeurs n’ont cessé de critiquer dans leurs récits l’expérience passager très en dessous des attentes sur l’A380 d’Air France :

« La cabine Business est inadéquate avec cette décennie »

Ilyes CDG-MEX

« Un appareil à éviter à tout prix lors d’un vol de nuit »

Madeinflight LAX-CDG

« Le confort à bord est médiocre, aujourd’hui ce n’est plus concevable »

Boby382 CDG-LAX

Avec un coût de rénovation estimé à 40 millions d’euros par appareil, Air France a finalement fait le choix de ne jamais rénover ses Airbus A380 et de les retirer en 2022, retrait anticipé à Juin 2020 en raison de la crise engendrée par le Covid19. Un choix cohérent et responsable d’un point de vue financier, mais révélant à quel point l’intégration de l’Airbus A380 à la flotte d’Air France fut difficile. La crise du Covid19 n’a en effet été que l’accélérateur d’un retrait déjà programmé et n’est en aucun cas la raison principale de ce retrait. L’A380 étant devenu un véritable boulet pour Air France, à la fois gouffre financier et appareil à éviter pour ses clients, la compagnie nationale a préféré se débarrasser au plus vite de ses superjumbos. Une très bonne décision car les conséquences économiques auraient été encore plus fortes avec des A380 en cours de rénovation en plein cœur de la pire crise qu’ait connu le transport aérien…

A380 Air France à l’atterrissage à Los Angeles © Leadership

L’A380 d’Air France, un sentiment de gâchis

Bien que très apprécié par les passagers par son silence, son espace et bien sûr son imposante silhouette, l’A380 d’Air France nous laisse un vrai sentiment de gâchis. Bien qu’il ne faille pas ignorer les difficultés d’exploitation auxquelles Air France a dû faire face comme l’ensemble des autres compagnies clientes (consommation de carburant élevée, coûts de maintenance ou encore concurrence des avions bimoteurs), le manque d’ambition pour proposer une expérience passager aux meilleurs standards de l’industrie fut une erreur stratégique. Avec l’arrivée des nouveaux Airbus A350 dans la flotte d’Air France, la bonne nouvelle est que l’expérience passager va continuer à s’améliorer dans toutes les classes de voyage, avec en plus un appareil plus respectueux de l’environnement. Une dizaine d’Airbus A350 viendront ainsi remplacer les dix A380 d’Air France qui quittent tristement par la petite porte la flotte de la compagnie nationale.