Paris, le 6 septembre 2018 – La crise de confiance que connait Air France ces derniers mois ne concerne pas seulement les salariés envers leur direction, mais aussi les clients envers leur compagnie nationale. Cette période de turbulence a au moins le mérite de mettre le doigt sur les difficultés que rencontre Air France à faire face aux tendances de l’aérien.

 

Sur le segment des vols long-courriers, les observateurs spécialisés ne parlent que du low-cost et pourtant, « devant le rideau », la classe Affaires n’a jamais été aussi populaire avec des compagnies comme Corsair ou WestJet qui se lancent sur ce segment. La raison est simple : dans ce marché ultra-concurrentiel et avec des prix tirés vers le bas, avoir une classe Affaires, c’est l’assurance d’améliorer les recettes de son vol (ou son « Yield »), tout en étant moins dépendant de la saisonnalité des voyageurs loisir.

Cette étude a pour but de présenter le produit Business d’Air France face à ses concurrents, l’état de sa flotte long-courrier et de ses différents chantiers de « retrofit » aujourd’hui et à l’horizon fin 2020, une vue d’ensemble des sièges « full flat » et « full access » du marché et enfin un benchmark des marqueurs attendus d’un service en classe Affaires.

 

Une note honorable

Les contributeurs de Flight-Report notent les compagnies qu’ils empruntent sur 4 critères : le confort, l’équipage, la restauration (catering) et l’offre de divertissements. Sur ces 24 derniers mois, la compagnie Air France obtient une note honorable de 8/10, ce qui la positionne 13ème de ce classement. Elle se fait cependant sensiblement distancer par les compagnies du Golfe et par Turkish Airlines qui grignotent ses parts de marché. Par ailleurs, l’ambition passée d’Alexandre de Juniac d’en faire une compagnie du niveau de Singapore Airlines semble bien lointaine.

 

La flotte Air France et Joon, aujourd’hui et demain

Aujourd’hui, Air France dispose d’une flotte long-courrier hétéroclite avec 5 types d’appareils long-courriers différents.

 

Sur ses 68 Boeing 777, 44 ont été rétrofités dans le cadre du programme BEST qui a débuté en juin 2014 et qui s’est terminé en mai 2017. Ces avions sont équipés du siège Cirrus de l’équipementier français Zodiac Aerospace. Fin 2020, il est prévu que les 12 avions dédiés aux lignes très loisir (historiquement appelé COI) soient reconfigurés avec le nouveau siège Optima. À l’heure actuelle, il n’est pas prévu de reconfigurer les douze 777 restant configurés en « Loisir » (également appelé 42J).

Les 6 Boeing 787 Dreamliner de la flotte ont été reçus neufs avec le siège Cirrus ; d’ici fin 2020, 4 nouveaux 787 sont attendus.

L’avion le plus emblématique de la flotte, l’Airbus A380, avec une flotte actuelle de 10 appareils dont 5 en location, possède toujours sa configuration d’origine avec des sièges NEV3/4 dit toboggan, âgés pour certains de 11 ans, lorsque le renouvellement moyen dans le secteur se fait au bout de 7 ans. Le programme de retrofit a été acté mais ne devrait débuter que fin 2020 soit 6 ans après la première annonce.

Les 15 Airbus A330 de la flotte disposent eux aussi du vieillissant siège NEV4. Après plus d’un an de retard et plusieurs changements, sa cabine sera enfin changée avec l’arrivée d’un nouveau siège, une version personnalisée de l’Equinox 2D de l’équipementier français Stelia Aerospace. Ce siège offrira un « full flat » mais pas de « full access » du fait de sa configuration en 2-2-2.

Les 6 Airbus A340 dont les 4 exploités par Joon seront retirés dans les 2 ans à venir.

A l’horizon fin 2020, les 6 premiers Airbus A350 rejoindront la flotte de Joon, ils seront équipés du siège Optima, le même que celui qui équipera les 777 « COI » rétrofités.

 

À l’heure actuelle, Air France propose un siège Full flat sur 48% soit moins de la moitié de sa flotte long-courrier : la compagnie est ainsi très en retard par rapport à la concurrence qui pour l’immense majorité propose un siège full flat sur plus de 75% de leur flotte. Fin 2020, 80% de la flotte long-courrier proposera un siège full flat, ce qui signifie qu’il y aura encore 1 chance sur 5 de voyager assis sur un siège de type toboggan.

Au niveau du Full access, Air France le propose sur 48% de sa flotte actuelle, et ce chiffre passera à 66% à l’horizon fin 2020. Chez les concurrents, le full access est un must pour les compagnies qui souhaitent jouer en première division.

 

Service à bord

Au-delà de l’aspect « hard » du produit (typiquement le siège), l’aspect « soft » ne doit pas être oublié en classe Affaires, car c’est ici que les compagnies peuvent faire la différence et obtenir la préférence de cette clientèle exigeante. Nous avons sélectionné 7 marqueurs d’un service en classe Affaires pour établir cette comparaison.

 

Lors de l’arrivée à bord, il est d’usage de recevoir un verre d’accueil. Certaines compagnies le proposent dès l’installation du passager en leur offrant le choix de leur boisson, lorsque d’autres, comme Air France attendent que l’embarquement soit terminé pour passer avec un plateau au choix limité.

 

Pour se restaurer, 3 protocoles s’affrontent.

Les compagnies les plus soucieuses des besoins de leurs passagers proposent un service « à la demande », très apprécié de la clientèle, mais cela demande une ressource importante en personnel.

La deuxième option consiste en la prise de commande du plat principal en amont du service. C’est moins personnalisé que le « à la demande » mais cela a le mérite de s’assurer de son plat chaud. Air France a introduit sous le protocole « Standard plus » la prise de commande depuis le 1er septembre dernier pour tous ses vols internationaux à l’exception des « COI ». Le service continue cependant à se faire au trolley pour l’apéritif, l’entrée et le dessert (disparition du chariot à desserts).

La troisième option consiste à imposer le rythme du service à ses passagers avec l’usage de très disgracieux trolleys en cabine : Air France utilise ce service sur ses lignes très loisirs « COI ».

 

Un autre marqueur en classe Affaires est la distribution de serviette chaude (ou froide), également appelée oshibori. Les compagnies les plus attentives le proposent roulé sur une réglette alors que les plus basiques lui préfèrent une distribution négligée, à la pince. Sur notre panel de compagnies, une légère majorité dont Air France préfère la distribution à la pince.

 

La qualité et le choix des vins servis à bord sont d’une grande importance. Il est pourtant très difficile de comparer les compagnies aériennes sur ce critère, car elles ont plus pour habitude de mettre en avant le nom d’un sommelier plutôt que des étiquettes. Pour établir une hiérarchie, nous avons pris en compte à part égale, le choix de bouteilles de vins (champagne, blanc, rosé, rouge, dessert) et la note Bettane & Desseauve du champagne proposé. Ainsi, en haut du classement, nous retrouvons notamment British Airways, Eva Air et Qatar Airways avec une note située entre 15 et 17/20. Un cran en dessous, avec une note entre 13 et 15/20, nous avons Air France mais aussi Cathay Pacific et SWISS. Entre 11 et 13/20 nous retrouvons des compagnies qui investissent sensiblement moins dans leur cave comme Lufthansa et American Airlines. Pour le bonnet d’âne, nous avons Iberia et LATAM qui ne proposent pas de champagne à bord et bien sûr Saudia qui est une compagne sans alcool, dite « dry ».

 

L’heure du repas venue, on retrouve trois écoles. La première consiste à mettre la table et à dresser le plat principal dans une assiette, cela demande de la ressource et de l’organisation. Les compagnies Garuda Indonesia, Oman Air et plus récemment Lufthansa ont adopté ce protocole. La seconde option consiste à présenter le repas sur un plateau, mais en prenant soin de dresser le plat principal : Delta Air Lines, Etihad Airways et Air Canada le font. Enfin, le service le plus simplifié est la distribution de plateau et le réchauffage des plats à même la cassolette, c’est souvent synonyme d’une présentation très brouillonne mais cela à l’avantage d’être le plus rapide : Air France, Emirates et Korean Air ont privilégié cette option.

Air France a bien fait une tentative de dressage de la table et du plat dans le cadre de son service « Ultra Business » disponible exclusivement vers Singapour, Tokyo Haneda et pour certains vols vers New York, mais cette initiative a été abandonnée au 31 août dernier au profit d’un service simplifié et harmonisé, le « Standard plus ».

 

La présence de l’internet par WiFi à bord devient de plus en plus un argument de poids pour les voyageurs d’affaires. En quelques années seulement, la majorité des compagnies aériennes ont investi dans un équipement WiFi mais avec des résultats encore très variables et bien souvent peu satisfaisants.

Au niveau de la tarification, les compagnies se cherchent encore. Les plus généreuses offrent la connexion mais avec une limite de temps et/ou de volume de data échangé : c’est le cas de Turkish Airlines, d’Iberia et de Finnair. Une légère majorité des compagnies propose du WiFi à bord mais sans aucune offre gratuite : c’est le cas d’ANA, de SWISS et de Saudia. Enfin une poignée de compagnies ne proposent pas le WiFi à bord (ou alors sur une minorité de leur flotte) : KLM, Cathay Pacific et Air France sont dans cette dernière catégorie.

Chez Air France, le WiFi n’est disponible qu’à bord des 6 Boeing 787 Dreamliner et d’un Boeing 777 et avec des offres uniquement payantes. Cependant, à partir de septembre de cette année, Air France équipera progressivement l’intégralité de sa flotte d’Airbus A330 et de Boeing 777 avec la technologie 2KU de Gogo, l’une des meilleures du marché.

 

Enfin, à l’heure du repos, il nous est encore possible d’identifier 2 types d’approches. La première consiste à offrir un service de « turn-down » qui comprend la présence d’un sur-matelas et/ou d’un pyjama, Air Austral, Singapore Airlines ou bien encore Malaysia Airlines proposent un tel service. À l’autre extrémité, il y a les compagnies qui ne font pas d’effort particulier, soit environ les 2/3 des compagnies évaluées dont Air France.

 

Cette étude montre le challenge auquel Air France doit faire face pour reconquérir ses clients de classe Affaires. Actuellement la notation de la compagnie est correcte, mais cela ne doit pas masquer un retard très important pris dans le retrofit des cabines avec aujourd’hui moins de la moitié de ses avions long-courrier équipés en sièges full flat.

 

Air France doit aussi revoir sa copie au niveau du service : contrairement aux autres compagnies plus agiles et plus à l’écoute des tendances, la compagnie française n’a que très peu fait évoluer son protocole et on se retrouve maintenant avec un service « vieille école » alors que les autres compagnies ont creusé l’écart tant au niveau de la présentation que dans l’attention dans les détails.

Air France a bien effectué des tests « Ultra Business » qui semblaient très prometteurs sur le papier, mais cela a été malheureusement abandonné au profit d’un protocole simplifié qui apporte bien peu de valeur ajoutée à l’expérience passager. Tout de même, la compagnie a prévu d’apporter des améliorations courant 2019 dans son service avec notamment la disparition du trolley pour le service du dessert et l’apport du plat principal au rythme du client.

 

Sous prétexte que l’attention se porte sur le low-cost long-courrier ou sur sa filiale hybride Joon, Air France ne doit pas perdre de vue son produit Business, sa force reste son réseau mais si il elle veut garder mais surtout reconquérir cette clientèle profitable, il va falloir s’en donner les moyens et mettre les ressources matérielles et humaines adéquates.

 

Méthodologie

Moyenne des notes attribuées par les contributeurs de Flight-Report aux compagnies concernées, et portant sur des récits de voyages effectués en classe Affaires sur des avions de types gros porteurs et au cours de ces 24 derniers mois (août 2016 – juillet 2018). 791 récits ont été comptabilisés pour établir ce classement.

Les informations brutes et la méthodologie complète utilisées pour cette étude sont disponibles sur demande à [email protected]