Paris, le 24 janvier 2020Air Tahiti Nui présentait le 23 janvier dernier le bilan de la première année d’exploitation de sa nouvelle flotte long-courrier et partageait ses perspectives pour 2020. Flight-Report a pu s’entretenir avec Mathieu Bechonnet, Directeur Général Délégué de la compagnie au Tiaré.


Flight-Report : La principale actualité pour Air Tahiti Nui en 2019 a été l’achèvement de la modernisation et de la transformation de la flotte désormais exclusivement composée de Boeing 787. Avez-vous noté au cours de 2019 une amélioration au niveau du retour passager sur cette nouvelle flotte ?

Mathieu Bechonnet : On l’a effectivement noté très rapidement : les clients ont commencé à appeler le centre de réservation pour savoir s’ils allaient voyager sur l’ancien (i.e. A340) ou sur le nouvel avion (i.e. B787), notamment pendant la période de transition pendant laquelle certaines liaisons comme le CDGLAX étaient opérées alternativement par les deux appareils.

En d’autres termes, il était temps de changer. Et la réaction des passagers est naturelle : d’un côté nous avions un appareil de conception plus ancienne, avec des cabines vieillissantes ; et de l’autre un appareil nouveau avec toutes les améliorations et promesses qui lui sont associées, notamment au niveau du confort de voyage, de la connectivité à bord, etc. En un mot, sur tout ce que l’on a fait pour que, 20 ans après, l’expérience client soit meilleure.

Nouveaux sièges Business à bord du Boeing 787 Dreamliner d’Air Tahiti Nui © Flight-Report (2019)
Anciens sièges Business à bord de l’ex-A340 d’Air Tahiti Nui © Flywunala pour Flight-Report (2015)
Nouveau produit Premium Economy à bord du Boeing 787 Dreamliner d’Air Tahiti Nui © Flight-Report (2019)
Nouveau produit Premium Economy à bord du Boeing 787 Dreamliner d’Air Tahiti Nui © Flight-Report (2019)

Flight-Report : Sur le plan opérationnel, quels ont été les grands changements rencontrés dans l’exploitation d’une flotte de B787 par rapport à une flotte autrefois exclusivement constituée d’A340 ?

Mathieu Bechonnet : Il y a eu des changements très importants dans la manière de travailler ensemble. Typiquement, au niveau de la maintenance et de l’exploitation, le fait d’exploiter des bimoteurs change complètement l’approche en termes de vol, notamment au niveau de l’anticipation des aléas météorologiques et opérationnels. Sur le plan opérationnel, on a senti qu’il fallait travailler beaucoup plus en amont dans le domaine de la prédiction, de l’analyse et de la préparation des vols (le fameux dossier ETOPS sur l’exploitation des bimoteurs qui change légèrement la culture de la compagnie).

Cela nous a aussi permis de commencer à explorer les avantages de la connectivité à bord pour nos personnels navigants. L’idée est de faire en sortes que les personnels navigants commerciaux soient davantage en interactivité avec les clients. Là encore, nous pensons qu’il y a des intégrations qui sont possibles et intéressantes pour nos équipages.

Pour les quelques centaines de personnels navigants, c’est également un grand changement de pouvoir travailler dans de meilleures conditions : le Dreamliner apporte un espace de travail beaucoup plus grand et un meilleur confort pour eux aussi. C’est très important pour les équipages en termes de fatigue et de repos.

Boeing 787 Dreamliner d’Air Tahiti Nui © Flight-Report

Flight-Report : Une grande tendance dans le monde aérien en 2019 a été l’émergence du « flygskam » (i.e. la honte de prendre l’avion) comme un sujet central, en Europe et notamment en France, l’un de vos marchés principaux. Que dites-vous aujourd’hui à un passager qui serait presque dissuadé d’aller à Tahiti en raison de son empreinte carbone ? De manière générale, comment Air Tahiti Nui agit-elle face à la responsabilité écologique ?

Mathieu Bechonnet : La première chose que l’on a faite a été de faire voler au maximum nos appareils, c’est-à-dire de ne pas acheter des appareils (qui consomment beaucoup de matériaux au cours de leur processus de production) pour qu’ils restent au sol : nous sommes passés de 5 à 4 appareils. On fait mieux voler nos avions, de manière plus responsable.

Les 787 d’Air Tahiti Nui portent tous le nom d’un atoll tahitien, ici « Fakarava », le premier Dreamliner reçu @ Flight-Report

Deuxièmement, nous n’opérons que très peu de sièges à vide : lorsque l’on fait voler des sièges à vide, on consomme une masse de carburant élevée pour transporter moins de passagers. Paradoxalement, le but est réellement d’assurer le remplissage de nos appareils : de cette façon, nous nous assurons que tout le carburant que nous consommons pour transporter des personnes d’un point A à un point B se traduit par une empreinte écologique diluée sur un très grand nombre de passagers.

Troisièmement, nous avons pris la décision, il y a quelques années, d’opter pour le Dreamliner, ce qui n’était pas une décision simple pour une compagnie comme la nôtre. Le Dreamliner n’est pas un très gros appareil, mais il s’est avéré parfaitement dimensionné à notre besoin : l’économie au siège a même été plus importante que l’on ne l’espérait. Avant-même ce mouvement de « flygskam », nous avions donc pris la décision d’avoir une empreinte carbone la plus faible possible par la rénovation de notre flotte.

Le nouveau logo d’Air Tahiti Nui, dévoilé en 2018, accompagne la nouvelle page tournée par la compagnie tahitienne @ Flight_Report

Le quatrième point, qui est plutôt en cours de mise en place, consiste à nous interroger sur la façon d’aller plus loin. Il faut comprendre que lorsque l’on se rend en Polynésie, on touche du doigt le changement climatique : on est sur des îles basses, ce qui crée notamment des mouvements d’exode de population des îles voisines du fait de l’augmentation du niveau des eaux. Cela nous touche : comment peut-on contribuer à cela en tant qu’acteur aérien ? Il va s’agir de travailler sur des éléments de compensation carbone. Nous voulons donner à nos clients la possibilité de venir en Polynésie de manière responsable à travers la compensation, et de pouvoir le faire dans le cadre d’un schéma qui a du sens en soutenant des initiatives locales.

On ne met pas suffisamment en avant ce que l’industrie aéronautique fait pour ces questions de réchauffement climatique. C’est la seule industrie dans le monde qui n’a pas attendu de rencontrer des blocages institutionnels pour annoncer des objectifs de diminution drastique des émissions de CO2. Le programme CORSIA est très ambitieux. Nous voulons suivre ce programme et être parmi les bons élèves. Je pense que nous sommes dans une révolution qui est en cours, qu’il faudra mener, qui aura un coût, et nous sommes prêts à y affecter certaines ressources : c’est un vrai chantier qui s’ouvre pour des compagnies de notre taille. Il ne faut pas que nos clients soient spectateurs : c’est une démarche qui est participative entre les compagnies et le client, car l’acte d’achat est important.

Flight-Report : En un mot, face à la concurrence de la compagnie à bas coûts French Bee arrivée courant 2018 sur l’axe Paris-Papeete, quelle a été la réaction d’Air Tahiti Nui ?

Mathieu Bechonnet : Avec une progression de plus de 39% de la capacité tout opérateur confondu sur l’axe Paris <> USA <> Tahiti, Air Tahiti Nui a su poser les fondations d’une stratégie de transformation gagnante, prouvant ainsi sa capacité d’adaptation et la robustesse de son modèle économique. Pour résumer, après les évolutions majeures de la concurrence à Papeete globalement, la compagnie de référence Air Tahiti Nui 1. résiste et 2. se développe.

Nouvelle cabine Economique à bord du Boeing 787 Dreamliner d’Air Tahiti Nui © Flight-Report (2019)

Flight-Report : Vous évoquez vos partenariats en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, mais qu’en est-il de l’Europe ?

Mathieu Bechonnet : Avec l’arrivée de United à Papeete, nous essayons de consolider encore plus notre présence en Europe. Nous avons déjà des relations avec Air France sur certaines villes en province. Pour l’Europe hors-France, nous pensons que le transit via LAX sera central : lorsqu’Air New Zealand opérait encore son LAXLHR, cela nous fournissait un nombre important de clients anglais pour la liaison LAXPPT. Maintenant, nous sommes forcés d’explorer d’autres options, et ce dans toute l’Europe, notamment pour faire face à United qui a des capacités très importantes pour alimenter son hub de SFO. La taille de notre compagnie nous pousse à miser sur nos alliances et nos partenariats.

Flight-Report : Le développement récent de Qantas vers des vols ULR (Ultra Long Range) comme le PERLHR vous donne-t’il des idées pour l’avenir, pour le CDGPPT par exemple ?

Mathieu Bechonnet : Évidemment ce sont des vols que nous ne pouvons pas opérer aujourd’hui car nous ne possédons pas les avions et les configurations cabines adéquates pour le faire. Mais au-delà de la question de l’appareil, cette stratégie pose deux questions : la première étant celle de l’emport carburant qui serait plus important, puisqu’aujourd’hui l’escale à LAX nous permet entre autres de nous réapprovisionner, donc de bénéficier d’un emport réduit au départ de CDG ou de PPT. D’autre part, ces très longs vols ne peuvent aujourd’hui être opérés qu’avec un nombre de passagers réduit, et s’adressent donc davantage à une clientèle essentiellement corporate.